Louise Bourgeois au Centre Pompidou

Présenter Louise Bourgeois ? Je ne m’y aventurerai pas.

Pourtant il n’est pas vain de rappeler son âge: Madame Bourgeois est née le 25 décembre 1911 à Paris; elle a passé son enfance à Antony dans une vaste demeure attenante à l’atelier de restauration de tapisseries de ses parents; elle a étudié l’histoire de l’art à l’Ecole du Louvre à la fin des années 30; elle a migré aux Etats Unis en 1938 avec son époux, historien d’art, dont elle a eu trois enfants; elle a rencontré tous les artistes d’importance et a monté à New York avec Duchamps l’exposition Documents France 1940-1944… en 1945; elle a fait toute sa carrière outre Atlantique et a connu de ce coté ci une traversée du désert dans les années 70/80; elle triomphe depuis le début des années 90 et est désormais reconnue comme une artiste majeure…

Ces éléments de biographie sont nécessaires quand on évoque l’art de Louise Bourgeois car il s’agit tout à la fois d’un art de vie et d’une vie d’art, d’une vie faite art.

Louise Bourgeois, en effet nous parle d’elle, de ses expériences, ses traumatismes, ses rêves et ses souvenirs. Son enfance est un moment fondateur qui traverse son œuvre et l’a nourrie; sa vie de femme et de mère n’est pas moins essentielle et aujourd’hui la lucide observation des effets dévastateurs de l’âge guide ses dernières pièces. C’est cela que l’on peut voir au Pompidou après que tout a été présenté à la Tate à Londres, sauf justement ses gravures récentes, si poignantes.

Si l’exposition se veut a peu prêt chronologique, ce n’est pas ce que l’on en retient. La perception des œuvres est diachronique avec Louise Bourgeois, thématique : enfance, sexe, amour, violence, enfantement, réclusion, cruauté, inceste, le père, la mère, maison, fratrie, homme, enfant, peur … tout y passe comme dans la vie et c’est ainsi, d’ailleurs, qu’est très intelligemment construit le catalogue.

L’enfance c’est l’image du père – peu flatté – plus incestueux que paternel; des araignées symbole maternelle, monstrueuses et protectrices; du grenier – dont la restitution est subvertie par la présence d’éléments insolites; une chaise de torture par exemple dans Passage dangereux 1997 – et c’est la maison toute entière, à la fois refuge et prison – Cell (Choisy) 1990-1993, la série Femme-maison dans les années 40. La maison métaphore de la destinée convenue de la femme dans les années 40, femme au foyer; la maison lieu d’amour et de souvenir RedRoom (Parents) 1994 ambiguë mais évocateurs  qui sert de prétexte sous-jacent aux Cells des années 90 : des architectures-installations inventées par Louise Bourgeois, espaces délimités et mis en scène. On découvre l’intérieur pas les interstices des portes qui font les parois ou les ouvertures ménagées pour la surprise et le voyeurisme. On devient enfant surprenant les parents dans leur chambre…
Le sexe est souvent là : qui ne se souvient de la fameuse photo de Mappelthorpe qui fixe Louise Bourgeois avec Fillette à la main, ce phallus rebaptisé avec humour. Mais cette image ne peut cacher l’érotisme – Cumul I 1969 peu sexuel mais très érotique; l’inceste – Seven in Bed 2001; l’enfantement – Do Not Abandon Me 1999; la mort – Three Horizontals 1998.

Diachronie des thèmes et variété des supports : Louise Bourgeois exploite tout, le métal, le bronze, le marbre, le bois, l’os, le papier, le tissu, l’eau … récupère ou transforme, assemble ou désarticule. La liberté avec laquelle elle s’approprie le support révèle la liberté du ton et la force du propos. Le support sert un dessein: choquer, émouvoir, provoquer et toujours interpeller.

Interpeller c’est ce que fait Louise Bourgeois aujourd’hui et qu’elle montre dans ses œuvres graphiques les plus récentes : ses mains rouges qui se croisent avec celles de son assistant, se cherchent et se soutiennent – 10 am Is When You Come To Me 2007, et surtout, peut être, ses mains levées qui implorent, glissent en laissant leurs traces comme si sa vie s’enfuyait – Extrême Tension 2007.

Alors oui, Louise Bourgeois nous parle d’elle comme Proust parlait de lui. Le mécanisme convoqué par Louise Bourgeois est semblable : s’adresser à ce qu’il y a d’humain et d’histoire humaine, personnelle et universelle à la fois en chacun de nous.

Magistrale leçon de vie et d’art.