Je suis conscient que le titre suffit à décrire l’objet et à solliciter les envies de sauter un post sur un tel sujet. Chambord passe certainement pour une destination de retraités ou d’américains en quête d’un doux séjour sur les bords de Loire. Et pourtant, visiter Chambord n’est pas tout à fait une expérience ordinaire. Ce n’est pas vraiment non plus un sujet pour un blog: des livres entiers pourraient être écrits si l’on s’en donnait la peine.
Je ne reviendrai pas sur l’histoire d’un « pavillon de chasse » imaginé dans une foret sauvage par un prince victorieux tout juste roi et qui avait su appelé auprès de lui l’un des artistes les plus fameux du temps : Léonard lui même. 1519, mort du génie et début des travaux … plan centré du donjon et escalier à double révolution: l’ombre du grand homme plane immanquablement sur le château.
Pourtant c’est à côtoyer l’oeuvre, en se perdant dans des appartements immenses à la fois semblables et différents, à jouer dans l’escalier fameux, à méditer dans la chapelle, que progressivement s’instille l’idée que le lieu n’est pas tout à fait un palais comme les autres. La progression vers le haut, le décor qui s’enrichit pour exploser littéralement dans l’extraordinaire feu d’artifice des terrasses, au sommet du donjon, cité idéale entre terre et ciel, est une mise en scène si savamment dosée et si incroyablement efficace cinq cents ans après son élaboration, que la présence d’une idée, bref d’un « concept » architectural, si je puis me permettre ce terme galvaudé, est tangible, comme palpable. Une présence est là. Celui ou ceux qui ont imaginé cette oeuvre nous transmettent toujours leur vision du monde en sculptant l’espace et en ravissant l’esprit dans tous les sens du terme.
Alors, Chambord devient une réflexion pertinente et singulièrement moderne sur ce qu’est l’architecture. Non pas le respect strict de règles au fond superficielles – les ordres par exemple ; ni l’appartenance à un style défini. Mais la capacité à proposer une expérience spirituelle, à embarquer le visiteur dans le monde que l’on a voulu, dans le périmètre d’un espace physiquement limité mais intellectuellement ouvert, spéculatif et finalement fantasmatique. Bref à Chambord l’architecture est une proposition à rêver l’espace, le monde, la vie.
Cette approche est d’ordinaire l’apanage des oeuvres religieuses : cathédrales gothiques, temples khmers, grecs ou égyptiens, le panthéon de Rome. Rares sont les oeuvre civiles, en tout cas en France, en mesure de rivaliser; je n’ai éprouvé un tel sentiment que dans les jardins de LeNotre à Versailles, Vaux ou Chantilly (et comme aurait dit le bonhomme, surtout, Chantilly); dans la villa Savoye. A chaque fois, l’usage de l’oeuvre n’avait aucune espèce d’importance, Chambord et la villa partageant leur inhabitabilité de fait. Mais là comme ici, jardins comme architectures, nous sommes conviés à partager une vision: là transpire le génie de l’industrie humaine et sourd l’espoir que les forces de l’esprit balancent la force brute, secret espoir de bonheur, Thélème incarnée…
A voir, vivre et visiter d’urgence le plus tôt et le plus jeune possible.
PS. Jacques Demy a eu raison : Chambord est bien un lieu magique qui réveille en nous notre âme d’enfant. Et cela, aucun autre endroit en France ne l’offre avec cette force.

