Esthétique des différends : un livre de Benoît Maire

Benoit Maire a présenté (5 février 2011) à la plateforme Rosascape un livre d’artiste, Esthétique des différends.

Le titre nous introduit d’emblée dans l’univers de l’artiste, sa dialectique entre art et philosophie puisque il renvoie sans détour au texte de Jean-François Lyotard (1983), Le Différend. Lyotard a beaucoup travaillé sur le concept de Postmodernisme qui occupe formellement Benoit Maire d’une manière ou d’une autre.

Benoit Maire a choisi une forme particulière de livre : une suite de cahiers dont le nombre final n’est pas encore déterminé – huit pour l’instant – regroupés dans un coffret, chacun ayant une autonomie de formes, notamment des typographies différentes. La réalisation, particulièrement soignée et qualitative, souligne ces décalages de mises en pages et même de mise en scène. Les premières et dernières pages de chaque cahier se font vis à vis assurant la cohérence visuelle et le fil d’ordre de l’ouvrage.

Pourquoi m’attacher autant à la forme, s’agissant d’un artiste connu pour son goût de la philosophie et qui, dans cette œuvre encore, confronte des textes et des œuvres dans une perspective qui est une mise en philosophie de l’art et, ou tout à la fois, une esthétisation de la philosophie ?

Précisément parce que j’ai éprouvé le sentiment étrange mais profond et pénétrant que cette fois la forme avait vaincu le concept ; qu’elle s’est emparée du discours, à l’insu de l’artiste ou selon son gré, finalement peu importe, au point d’en ruiner l’approche intellectuelle première et naturelle, je veux dire la lecture traditionnelle du discours philosophique, en supposant que les textes aient été conçus sous une forme linéaire discursive et continue.

Car le livre en cahier, inachevé de surcroit et voué à une complétude en suspens, introduit le ferment du désordre, une sensualité an-intellectuelle, physique, autant qu’il suscite le désir jusqu’à son achèvement, inachèvement final. La linéarité n’est plus de mise, ni dans l’espace, ni dans le temps attente. L’esprit n’est plus conduit à lire selon les codes habituels – du début à la fin ici suspendue, de gauche à droite, et de haut en bas en occident – mais erre d’un cahier à l’autre, d’une image à l’autre, occupé de sensations autant que de concepts, errance renouvelable au fur et à mesure que l’oeuvre se complète. Le rapprochement de représentations d’oeuvres de l’artiste et de ses textes est éclaté et ne peut plus sous-tendre un discours. Il se décompose pour se recomposer selon un mode indéfini dans l’esprit du lecteur, jouisseur. La textualité perd en raison ce qu’elle gagne en dimensions multiples, en pliure, en pli (Deleuze).

Et curieusement, cette forme qui subvertit les règles habituelles communes de lecture a avoir avec les Différends de Lyotard, avec les référents « extra textuel » de l’occident, incarnés en quelque sorte ici par la fermeture habituelle du livre normalement relié – du livre de philosophie notamment.

Dès lors, les concepts invoqués par l’artiste et auxquels la prudence et mon savoir m’obligent à ne pas me confronter, m’importent peu. Car l’œuvre fonctionne comme une corde souple où dansent nos fantômes dont l’ombre révèle nos comédies.

Magie du livre.

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