Chtchoukine chez Vuitton1 : une collection hors norme de l’avant-garde parisienne : Gauguin, Cézanne, Matisse, Picasso… présentée en occident pour la première fois en tant que collection cohérente. Anne Baldassari orchestre une scénographie qui en restitue « l’ambiance », de l’iconostase dédiée à Gauguin, au cabinet plus secret où Chtchoukine avait cherché à contenir la puissance des Picasso. Collection scandaleuse en Russie, à l’époque, collection d’un fou, mais terreau fertile pour les avants-gardes russes (Tatline, Popova, Rodtchenko, Malévitch en tête).
La danse de Matisse, commandée avec la musique pour décorer l’escalier du palais Troubetzkoi, nues scandaleux dans une Russie culturellement très prude, au point de faire hésiter Chtchoukine, avant qu’il ne se résolve à admettre la beauté de l’oeuvre et à l’accrocher comme prévu, repoussant les préjugés et les dénigrements, la danse donc, avec la femme à l’éventail de Picasso, puissance sauvage, suffiraient presque seules à évoquer l’homme et l’oeuvre.
Anne Baldassari, par son accrochage, nous rappelle pourtant que Cézanne constitue peut être le fil rouge de la collection, incarnant magistralement la dette immense que les avants-gardes ont contractée à son égard, résumée en un seul tableau à la fois cubiste et abstrait, Montagne Sainte-Victoire vue des Lauves 1904-1905, acquis immédiatement après le décès du peintre, son testament pictural et lègue formidable à l’histoire de la peinture.
Chtchoukine a acheté des tableaux à peine sortis de l’atelier, certains même alors que l’artiste y travaillait encore (Derain, Nature morte au panier avec un pain, 1911-1912), conseillé par les grands galeristes et marchands de l’époque, certes, Durand-Ruel, Ambroise Vollard, Bernheim ou Henry-Kahnweiler, mais aussi d’instinct.
L’ensemble est prodigieux, non seulement parce qu’il s’agit d’une suite incroyable de chefs d’oeuvres (qui commencent avec les impressionnistes et notamment la version réduite du Déjeuner sur l’herbe de Monet, excusez du peu !), mais parce que la cohérence et l’audace du propos restent intactes, magistralement restituées par l’accrochage. Cette exposition est une épiphanie qui reste durablement gravée dans la mémoire comme un moment d’apesanteur.