« Les trois singes » de Nuri Bilge Ceylan a reçu le prix de la mise en scène au festival de Cannes 2008 : un titre qui, à tout le moins, pousse à la curiosité mais qui rend mal compte, me semble-t-il de la qualité réelle du film – et de ces défauts.
L’histoire : un homme politique roule de nuit s’endort et tue accidentellement. Il propose à son chauffeur, vivant seul avec sa femme et leur grand fils, d’endosser le crime et la prison. Le film montre la descente aux enfers de la famille, de l’adultère au meurtre en passant par le mépris et la suspicion.
Longs plans sur les visages, poison de l’ennui habilement distillé, la mise en scène est en effet éblouissante quoique parfois un peu poussée : certains plans sont un peu longs et esthétisants. On pourra aussi reprocher à cette tragédie grecque d’être socialement trop déterminée. Mais l’essentiel n’est pas là.
Ce qui est éblouissant ici est le script précis comme une mécanique horlogère, elliptique et suggestif : on ne voit rien de l’accident au point d’hésiter sur sa nature, on ne voit rien du meurtre tout est dans la suggestion… La scène où la mère comprend que son fils a tué est d’une efficacité redoutable, sans épanchement ni dialogue idiots. Quand, vers la fin, la police frappe à la porte, plan sur la porte, et la convention aurait voulu qu’on nous montrât la police derrière : rien ici que le son du talkie-walkie. La bande son d’ailleurs est essentielle : la sonnerie du téléphone par exemple est le chœur grec des tragédies, soulignant la marche implacable du destin; une fatalité activée par le politicien comme on active une machine infernale … message ? … et reprise à la fin par ce pauvre chauffeur … La faute de l’un salit l’autre sans échappatoire.
Une telle précision et ce sens de l’ellipse sont devenus assez exceptionnels aujourd’hui et renvoient certains films récents mieux cotés à leur voyeurisme ou à leur bavardage (Hunger…).
Une leçon d’écriture à méditer.