Hunger : la fin de Booby Sands. Un sujet fort, traité par un artiste plus connu dans les galeries que dans les salles.
Un film en trois parties de longueurs inégales : la grève de l’hygiène et des couvertures; la rencontre avec un évêque; la grève de la faim et l’agonie. Trois parties en travelling sur l’individus Sands : prisonnier parmi d’autres d’abord; leader dialoguant rédemption et salut et homme seul, enfin, « héros » d’une épreuve fatale. Un film christique, de la montée au Calvaire – la scène de la bastonnade rappelle la flagellation – au supplice, non sur une croix, certes, mais aussi atroce dans les ravages du corps et l’agonie.
Un film enfin plastiquement très travaillé et traversé de références picturales ( le corps de Sands évoque dans la dernière partie le corps décharné et sanglant du Christ de Grünewald à Colmar).
Mac Queen filme cette descente aux enfers comme une vidéo d’art aux proportions hypertrophiées. Le film est construit à la fois pour obtenir le maximum d’impact par la provocation visuelle – excréments, violence, sang, plaies, souffrance, agonie, mort … – tout en ôtant une vraie présence psychologique différenciée aux personnages et aux situations transformées en icônes, en paradigmes abstraits. Formulé autrement, l’esthétisme poussé, l’ultra-violence, mis en scène et en images avec une telle maîtrise, contribuent à supprimer l’empathie pour un personnage ou un moment, à bloquer l’implication du spectateur / voyeur dans le récit. L’œuvre est ainsi soit « insoutenable » – et nombre de spectateurs quittent la salle avant la fin – soit œuvre plastique cérébrale, abstraite. Et, le sujet du film – Sands, la guerre d’Irlande – n’est plus qu’un prétexte aussi peu impliquant pour le spectateur et aussi légendaire que la guerre de Troie.
Le film Two Lovers de James Gray – dont je parlerai peu pour ne pas l’avoir particulièrement apprécié – procède à l’inverse : les personnages sont psychologiquement lourdement marqués. La mise en scène assez fluide et précise reste simple. La photographie ne s’embarrasse pas d’esthétisme travaillé. Tout est construit – au millimètre – pour susciter l’empathie du spectateur et l’embarquer dans une histoire.
Les deux visions sont radicalement différentes et posent la question de la nature de l’œuvre cinématographique. Si le cinéma n’est qu’une manière d’assembler et construire des images et des scènes pour provoquer une sorte de jouissance cérébrale par la qualité plastique proposée, alors Mac Queen est un grand metteur en scène de cinéma et Gray un gentil amuseur. S’il s’agit aussi d’embarquer le spectateur pour faire passer autre chose , disons une émotion, une adhésion ou une colère, s’il s’agit de penser – je veux dire activement, en participant – et non pas seulement de jouir alors Hunger n’est pas exactement une oeuvre cinématographique mais plutôt une vidéo géante…
In fine, une question : Hunger est-il autre chose qu’un exercice de style – réussi de mon point de vue -, une manifestation post moderne de l’art pour l’art ? Est-il autre chose qu’une prise en otage du spectateur forcer à souffrir ou (et ?) à jouir ?