Du Cerceau – Parent : architectures

La cité de l’architecture à Paris propose en mêmes temps et cote à cote deux expositions : Jacques Androuet du Cerceau et Claude Parent.

A priori, on imagine mal le même public aller de l’une à l’autre. Un préjugé, sans doute, qui voudrait qu’un amateur de la Renaissance ne goute guère les audaces architecturales du XXe siècle et réciproquement. Personnellement, j’ai fait l’expérience de cette césure entre deux mondes qui veulent s’ignorer, le lointain passé et le présent pourtant déjà fuyant.
Or, quand bien même voir l’une à l’exclusion de l’autre est intéressant en soi, visiter les deux ouvre d’étonnantes perspectives.

Que voit-on?

Chez Du Cerceau, dont l’activité d’architecte-praticien est difficile à cerner, sont agréablement présentées en projection sur les parois ou sur des moniteurs, des planches gravées et des dessins, ainsi que quelques maquettes (notamment des Tuileries de Catherine de Médicis)

Qu’il s’agisse de gravures ou de dessins pour un traité de perspective, de représentations de monuments de l’antiquité, de gravures d’ornements ou des dessins des « plus excellents bâtiments de France », la virtuosité du dessinateur est stupéfiante. La planche qui sert de fond à l’affiche semble flotter, l’architecture accédant à une sorte d’onirisme qui attire l’œil au-delà du vocabulaire formel évidemment daté.
La coupe de la grande salle de Montargis est un des plus beaux dessins d’architecture du XVIe siècle et, peut être de l’histoire du genre : le mélange de virtuosité technique, de précision, d’anecdotes (les personnages tous affairés à « montrer » la salle) lui confère une saisissante force de suggestion; on voit, on vit, l’architecture et l’esprit se promène dans cette grande salle médiévale (une des plus belles et des plus vastes de France alors) en compagnie de du Cerceau, de Renée de France qui l’accueillait…

Côté Claude Parent, la mise en scène de l’exposition est plus savante : les œuvres d’un coté et les dessins sur un mur en continu en face (Jean Nouvel, ancien « élève » de Parent est l’auteur de la scénographie).

À l’inverse de du Cerceau l’activité de praticien confronté aux difficultés du faire, est parfaitement connu au moins des amateurs – il aurait été dommage que l’œuvre d’un tel architecte vivant fût déjà oubliée !
Pour les Parisiens, la maison de l’Iran à la Cité Universitaire est son œuvre la plus visible avec son spectaculaire escalier extérieur. On reconnait aussi la vaste et impressionnante maison Bordeaux le Peq ou l’église sainte Bernadette du Banlay ramassée comme une église fortifiée médiévale du midi (ou un bunker). On voit avec curiosité des photos de chantier et de l’homme, des interviews des années soixante-dix … au passage aussi formellement datées que les dessins de du Cerceau.

Les dessins, justement, sont captivants. Projets « réels », ou rêves architecturaux, Parent montre une formidable capacité à faire naitre des volumes et des idées au point qu’on s’imagine parfois devant des cités  du futur ou d’autres mondes où l’architecture serait en quelque manière débarrassée des contingences de l’homme individus.

Et c’est là, par la pratique commune du dessin d’architecture que s’établit la résonance entre les deux expositions et les deux œuvres. Car il s’agit, chez l’un comme chez l’autre du même sujet : donner à voir un espace, un lieu, réel ou imaginaire qui puisse saisir l’observateur, le faire rêver, mais aussi réfléchir à sa condition dans l’espace – architectural en l’occurrence, mais évidemment cela n’a rien de limitatif -, dans sa société, dans son monde et dans son temps. Créer des formes, des lieux qui infléchissent cette vision en suggérant un mode de vie, ensemble et dans son contexte.

Du Cerceau imagine l’antiquité, réinvente des monuments qu’il n’a jamais vus parce que son propos est celui d’un utopiste qui se moque de réalisme; et pourtant, c’est lui qui dessine avec une volonté maniaque de précision – souvent trahie – les bâtiments du royaume dont d’ailleurs il donne parfois une représentation anticipée divergente de la réalité construite. Parent créer des maisons et des super marchés bien réels et spécule sur le plan incliné et d’immenses structures comme projetées dans le vide dont il est impossible de savoir si un jour elles pourraient physiquement être édifiées.

Du Cerceau aménage le territoire, dessine des jardins, des fontaines, réels sans doute, mais prestigieux donnant l’image d’un monde organisé, policé, civilisé en somme. Parent imagine des structures où la vie en commun devient nécessitée, œuvre de civilisation encore.

Architecture fantastique, dessin sur vélin. Chantilly, musée Condé © RMN/Chantilly, musée Condé

Claude Parent – Les Oreilles de la lune 2 (Moon Ears 2) 1989/1999 architectural drawing | graphite on paper

L’utopie, le rêve d’un monde beau grâce à l’architecture, c’est à dire à l’art donc à l’homme, est partagée à quatre siècles l’un de l’autre par les deux artistes.; de même l’idée que la création d’un espace architectural n’est pas seulement utilitaire et pratique, mais constitue un acte social, un manifeste qui s’affirme avec une force « culturelle » singulière. Après tout, c’est d’abord l’architecture – ou son absence – qui affiche les valeurs, les souhaits, les terreurs et les espoirs d’une civilisation. La « somme » Parent – Du Cerceau nous le montre avec éclat : l’un comme l’autre s’adresse à l’intelligence dans une pratique « solaire » de leur art.

Il faut donc bien voir les deux expositions ensembles pour vérifier qu’au-delà de la forme, c’est la puissance de l’imaginaire, de la conviction et de la cohérence d’un travail d’artiste qui lui donne sa force et sa pérennité. Un rappel que le fond ne saurait s’imposer sans la forme – dessins admirables de l’un et de l’autre – mais inversement, la forme sans fond disparait et prête à rire – les pilosités hirsutes de nos parents dans les années 70 sont aussi étrangères aujourd’hui que les baudriers des contemporains d’Henri III.

Un vrai travail de curateur…

P.-S. Les deux expositions sont le prétexte à de somptueuses et remarquables publications sous la direction de la Cité de l’architecture: Claude Parent – l’œuvre construite, l’œuvre graphique et Jacques Androuet du Cerceau  » un des plus grands architectes qui se soient jamais trouvés en France » publié en collaboration avec les éditions Picard

Cité de l’architecture et du patrimoine:

Androuet du Cerceau (1520-1586) du 10 février au 9 mai 2010 – Claude Parent: l’oeuvre construite, l’oeuvre graphique du 20 janvier au 2 mai 2010

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