Quand même la science déraille … à propos de la pétition anti-Allègre

Il est des moments où l’effarement ne le cède qu’au découragement à la lecture de la presse nationale la plus autorisée. Dans le journal Le Monde daté du 2 avril (publié le 1er) on pouvait lire en Une le titre suivant : « Une pétition demande aux pouvoirs publics de trancher le débat avec les climato-sceptiques », ce titre évoquant la pétition de plus de quatre cents chercheurs à la suite de la publication de livres très controversés de Claude Allègre et de Vincent Courtillot.

Comme l’écrasante majorité des citoyens, je suis incapable de démêler le vrai du faux. Mais entendons nous bien : ce n’est pas parce que je suis inculte, ou stupide, mais parce qu’en sciences la « vérité » ne fait sens que confrontée aux faits, aux expériences, aux vérifications, dans le cadre d’un labeur long, méticuleux, contradictoire, toutes catégories qui n’ont rien à voir avec la guerre médiatique dont Le Monde rend compte et qui n’est pas de mon ressort.

Comme on sait, les publications scientifiques sont contrôlées par des jurys ou de comités de lectures, souvent anonymes, composés de spécialistes qui valident, non forcément les conclusions, mais à tout le moins la rigueur (apparente) de la démarche et du modus-operandi. Ces publications contribuent à la circulation du savoir permettant à d’autres scientifiques de vérifier les hypothèses, de reproduire l’expérience, d’en vérifier les observations et d’en confirmer ou invalider les conclusions. Les débats contradictoires sont consubstantiels à la démarche scientifique. Hors de ces publications, les ouvrages sont des travaux de vulgarisation à visées pédagogiques ou des essais polémiques sans valeur scientifique particulière, je veux dire qu’ils ne sont généralement pas reconnus comme des ouvrages de référence scientifique dans les domaines qu’ils traitent. Il possèdent évidemment leurs qualités propres – certains textes de vulgarisation par exemple sont remarquables et certains, par leurs audaces, fondent de nouvelles vues.

Evidemment aucun des deux ouvrages publiés, dont notamment celui signé Claude Allègre, n’est passé – semble-t-il – par le filtre d’un comité scientifique. Et quand bien même ce serait le cas, qu’il n’y aurait aucun lieu à polémique, d’autres scientifiques pouvant dans la normalité de la démarche en contredire les conclusions voire les méthodes. Dès lors faire appel à « une autorité de tutelle » pour trancher un débat scientifique nous ramène aux heures les plus sombres de l’obscurantisme. Je ne suis pas assez fin épistémologiste pour me souvenir à quand remonte le dernier appel à un pouvoir – politique ou religieux – pour trancher un tel débat mais ce ne doit pas être d’hier. Et nous avons tous appris – Galilée – les résultats désastreux qui peuvent découler d’une telle démarche. On m’objectera qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’un appel au pouvoir tel qu’on le pratiquait au XVIIe siècle. Certes non, il s’agit juste de sa version moderne et technocratique c’est à dire procédurière et, par l’effet de masse, anonyme – kafkaïenne en somme.

Heureusement, Valérie Pécresse, ministre en charge, a rappelé en substance qu’un débat scientifique est du ressort des scientifiques. Ouf et bravo à elle ! Mais qu’aurait-il pu se passer si sa réaction avait été contraire ? Si, soudainement inspirée par en haut, elle avait perçu comme la vocation d’être l’ultime arbitre des vérités ? Aujourd’hui le climat et demain ?

Cette montée incroyable de ce qui me semble une forme perverse de l’irrationnel – l’appel aux « autorités » – au sein même du temple de la rationalité la plus dure et parfois la plus obtuse – le CNRS – inquiète et décourage. Et je me refuse à croire pourtant que quatre cents scientifiques aient pu sombrer d’un coup dans ce qui semble une sorte de délire paranoïaque.

La réaction me semble trahir l’appréhension d’une communauté  – et l’ambigüité de ce mot est particulièrement bien venue dans ce cas – dépassée par le succès médiatique d’un ouvrage polémiste dont elle craint qu’il ne ruine aux yeux du public – c’est à dire des citoyens qui par leurs impôts et pour une part essentielle financent la recherche – le crédit de ses propres travaux. Ainsi, cette pétition m’apparaît comme une sur-réaction par crainte de la variabilité incontrôlable de l’opinion publique – déjà dénoncée par Platon dans la République, opinion dont bien évidemment on soupçonne, par le fait même, le procès d’intention de sottise fait à son égard – et pour moi prendre le peuple pour un imbécile est déjà inacceptable.

Or, le sujet pour le citoyen n’est absolument pas, n’est absolument plus, d’avoir la preuve scientifique du réchauffement climatique – en l’occurrence – mais de savoir agir pour assurer à tous, la meilleure vie possible dans la Cité au sens grec du terme. Sauf à sombrer dans un fanatisme sordide, qu’il soit progressiste ou au contraire « réactionnaire », chacun se doute que son activité peut nuire aux autres, à son environnement au sens large, humain et naturel. Il y donc du bon sens à chercher à limiter son impact environnemental à tout point de vue pour s’assurer un mieux vivre ensemble et ce n’est ni Claude Allègre ni une pétition hallucinée assortie de débats de collégiens – fussent de France – qui sont en mesure de changer cette conviction. Mais cette pétition, par sa nature « monstrueuse » dans son contexte, a au moins une vertu essentielle : elle rappelle que la science est un outil, un moyen, permettant d’orienter rationnellement nos choix, pour assumer mieux notre coexistence pacifique avec les autres et avec tout ce qui nous entoure mais qu’elle n’est en aucun cas une fin et ne doit jamais l’être. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » écrivait déjà Rabelais.

Alors le citoyen que je suis – et peut être hyper-critique ou paranoïaque lui même – s’interroge : à qui profite le crime ?

On voit bien que les textes des « climato-sceptiques » peuvent être récupérés pour vanter les mérites infinis du progrès continu et de l’économie-pétrole (vive Total) ; on perçoit que les travaux de leurs contradicteurs sont exploités pour créer un concept puis une économie du « développement durable », débouchant, par exemple, sur la promotion du biocarburant dont des scientifiques très sérieux se demandent s’il ne constitue pas globalement un remède pire que le mal en terme d’impact citoyen – c’est à dire environnemental ET humain. On voit aussi que tout cela n’a rien à voir avec des études de laboratoires ni avec la « science dure », mais bien encore avec la vie dans la Cité, c’est à dire avec la politique au sens fort, et au final avec l’éducation nécessaire pour exercer en pleine conscience ce métier qui s’ignore : citoyen du monde, choisir, pour peser dans ce cas, me semble-t-il, sur les lobbies et leurs enjeux financiers qui s’affrontent bien au delà des débats de spécialistes. Et l’on sait, que la terre soit ronde ou cubique, que des milliards d’humains vivent dans des conditions intolérables, que des enfants continuent d’être exploités dans des conditions effroyables et que la « science » en conscience devrait taire toute polémique devant cette misère là pour aider à agir là et maintenant.

Alors merci à Claude Allègre d’écrire un peu n’importe quoi pour éviter que ne s’instaure une vérité révélée dont on n’a que faire quelles que soient ses bonnes intentions – l’enfer n’en est-il pas pavé ? Car il oblige d’agir et de réfléchir en conscience ce que nos pétitionnaires du 1er avril auraient du méditer. Merci aux scientifiques de poursuivre le formidable travail qui a permis de soulager la misère et de propager le savoir, mais honte à eux pour leur débat d’école maternelle consternant dont on se demande d’autant plus si il ne procède pas des injonctions d’apprentis sorciers sectaires, que la démarche nuit à leur cause plus que tout livre polémique. Enfin, on ne peut qu’exhorter les politiques en place à ne pas profiter de cette querelle d’experts pour fuir leur responsabilité : car c’est bien cette boite de Pandore là que cette polémique a ouverte et ce ne sont certainement pas des scientifiques fussent-ils géniaux ou des polémistes de talents qui pourront la refermer, mais possiblement, les bulletins de vote, tant chacun peut vérifier le manque évident de sens de la mesure, de l’effort, du sacrifice et du bien commun autant que l’âpreté aux gains qui hélas semblent en général le lot des dirigeants et de bien des hommes, scientifiques compris.

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