« L’accroche » : à propos d’un tombeau royal

Il n’y a pas si longtemps, j’ai passé quelques jours à Lisbonne, que j’ai découvert pour l’occasion. Comme tous les touristes avides et curieux, j’ai visité les places, les lieux et les sites connus, les endroits fréquentés par Pessoa, sa maison aujourd’hui convertie en musée.

Et je suis allé au musée archéologique des Carmes. Empilement de fragments historiques et de vestiges archéologiques dont aucun n’a vocation, par nature, à susciter l’émoi artistique.

Pourtant dans ce qui reste du chœur de l’ancienne abbatiale, une tombe, ou plutôt un tombeau, a attiré mon attention. Il s’agit d’un sarcophage sculpté dans un style gothique déjà avancé et reconnaissable, imprégné de cet esprit de cour que l’on rencontre dans toute l’Europe à partir du milieu du XIVe siècle. La sculpture est élégante et raffinée. La pierre profondément incisée. Le style est graphique qui met en valeur la richesse héraldique des écus nombreux qui se partagent la surface. On devine qu’il s’agit de la sépulture d’un riche et puissant seigneur. Le regard se perd dans les détails des animaux monstrueux qui jouent comme en marge, frères sculptés des grotesques des manuscrits enluminés. La précision du ciseau étonne qui modèle bustes et visages et cisèle une longue inscription qui me reste étrangère. Le bas relief d’un flanc rappelle des images connues: le séraphin, le personnage stigmatisé impose à la mémoire l’iconographie franciscaine immortalisée par Giotto. L’œuvre fascine et impressionne dont pourtant mes guides français ne font aucune mention.

A la lecture du cartel et bientôt d’un livre entier consacré à l’ouvrage, j’apprends qu’il s’agit du tombeau déplacé du roi D. Fernando I. Un tombeau royal récemment restauré; une origine prestigieuse qui par delà les siècles et les vicissitudes de l’histoire lui conserve cette sorte d’aura qu’on les objets et les œuvres exceptionnels. On comprend alors qu’au delà du savoir faire, sont les sens cachés de l’œuvre ; le mélange d’une héraldique complexe et d’une symbolique religieuse dont la finalité est politique, sans doute, dans le contexte de l’époque. L’héraldique m’est inconnue ; j’ignore les détails de l’histoire du Portugal et pourtant, déplacé et meurtri, ce tombeau royal m’a fasciné.

Lisbonne - Tombeau du roi D Fernando I ca 1380-1383 (photo de l'auteur)

Ce souvenir se dissipant, je m’interroge sur « l’accroche » qui dans cinq siècles, suscitera l’attention et l’intérêt des spectateurs de demain pour certaines oeuvres d’aujourd’hui: la prouesse technique ? les dimensions ? le luxe des matériaux, bref la surface des choses ? La pensée qu’on y mit et la cohérence de l’univers que construit l’œuvre d’elle même, loin de son créateur, dans le temps comme dans l’espace ?

Tout cela sans doute mais qui rappelle qu’au travers des âges se sont toujours les forces de l’esprit qui éveillent l’esprit. Une leçon à méditer peut-être pour ceux dont la pensée se mesure à l’aune de leurs gains.

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