Une visite au musée Rodin fait partie des moments privilégiés partagés par les vrais parisiens : le lieu paisible semble immuable, et son jardin, calme et suffisamment vaste est un lieu de repos prisé.
Mais évidemment on ne va pas là en général pour lire à l’ombre des grands arbres mais pour Rodin, et plus souvent encore pour les expositions temporaires hébergées dans les restes de l’ancienne chapelle des Dames du Sacré-Cœur de Jésus, « locataires » des lieux au XIXe siècle.
En ce moment, Henri Moore y a pris ses quartiers. (Henry Moore – L’atelier jusqu’au 27 février 2011)
L’œuvre de Moore (1898-1986) et en particulier ses œuvres monumentales sont universellement connues sans même que le public non averti sache qu’il en est l’auteur. Il a en particulier multiplié les œuvres de grande taille à partir de la fin de la guerre, conçues à partir de moulage et maquettes réduites dont certains sont présentés, oeuvres évidées en « arches » dont l’inspiration provient souvent de squelettes ou ossements animaux stylisés et simplifiés, comme on peut aisément le constaté dans l’exposition – un crâne d’éléphant est instructif à cet égard. Il a aimé représenter des femmes couchées aux formes souples et des formes emboitées où joue la lumière.
Curieusement, pourtant, ce n’est pas l’œuvre de Moore qui m’a le plus saisi durant cette visite. Mais plutôt le mélange entre cette oeuvre là, le travail de Rodin et l’hôtel, le XVIIIe siècle des façades et des boiseries.
Je me suis surpris à trouver le travail de Moore autant inscrit dans l’histoire ou, pour prendre une formulation moins aimable, aussi « daté » que le travail de Rodin ou des sculpteurs du temps des Lumières. Les formes rondes, évidées et déformées parfois ou l’on surprend la réminiscence de certains dessins de Picasso ou du travail des surréalistes, correspond bien à un temps « moderne » suffisamment récent pour ne pas encore avoir connu un fort revival, dont je suis persuadé qu’il est proche. Mais ce travail fait bien partie de l’histoire c’est à dire qu’il ne s’inscrit plus dans un acte vivant tâtonnant et expérimental. Son propos non théorique mais formel sensible et tactile s’inscrit sur un plan semblable à celui d’un Rodin.
On peut réfléchir à l’inflexion du « métier » de sculpteur. Du travail exclusif en taille directe ou peu s’en faut dans l’hôtel, mascarons en pierre des façades et boiseries des salons, tous d’une virtuosité et d’une finesse d’exécution exceptionnelles ; la libération progressive des contraintes de la matière par Rodin, obsédé par le jeu de la lumière, partageant en cela les préoccupations de Monet. Mais l’œil de ce dernier comme son génie particulier le mènera au seuil d’intuitions que Rodin, sans doute ne semble pas avoir eu ; Moore, enfin, exploitant les technique modernes, affranchies des références trop réalistes, jouant des formes pour civiliser et faire chanter la lumière sans contraintes – mais non parfois sans maniérisme, de mon point de vue, notamment dans le traitement des surfaces. Une évolution qui au fond nous parle toujours d’ombre et de lumière, d’épiderme et de souffle, de ce frémissement que j’ai éprouvé par exemple avec émotion devant le Satyre de Mazara del Vallo (bronze antique présenté au Louvre à l ‘exposition Praxitèle en 2007), œuvre vibrante et saisissante. Je noterai au passage que l’exposition permet de mesurer à quel point réalisme et anthropomorphisme ou leur absence ou leur contournement ne sont pas, au final, les enjeux premiers de la sculpture d’aujourd’hui comme d’hier.
Ainsi, à ce jeu de la sculpture, si j’ose écrire, Rodin est un maitre et Moore un virtuose. Et pourtant, la subtilité des reliefs des boiseries de l’hôtel capte plus encore, malgré leur état, ce frémissement de l’air qui les rapproche de la vie. Rodin et Moore ont regardé le ciel pour espérer d’un soleil sculpteur la réponse à leur quête; « l’imagier » de l’hôtel l’avait trouvée dans les fleurs des champs et le sein giron des femmes de Paris.
Au musée Rodin, le vie et le souffle ne sont peut être pas là où l’on croit et l’élégance subtile de l’hôtel, jadis réservée à une caste plus que privilégiée, demeure néanmoins un sommet de civilisation et de raffinement auprès desquels Rodin semble lourd et Moore fastidieux et maniéré.
De mon goût, la grâce de Giacometti n’a pas soufflé sur son contemporain.