Arman : une très belle exposition

Arman s’expose à Beaubourg jusqu’à mi janvier 2011.

J’irai droit au but pour saluer d’emblée l’intelligence de  cette exposition ou, en tout cas ce qui me semble être un vrai travail de commissaire, qui met en valeur l’œuvre quitte a en gommer certains aspects. Plus précisément la prévention que l’on a quand il s’agit d’Arman vient évidemment du procédé de l’accumulation employé par le plasticien ad nauseam.

Car l’exposition montre avec beaucoup d’intelligence l’émergence de la démarche de l’artiste et ses déclinaisons. Arman a commencé par les « traces » suivant l’inspiration de son compère, Yves Klein et ses femmes pinceaux. La trace est à la fois le témoin tangible d’un acte, d’un fait, d’une présence, inscrits dans un passé révolus dont il ne subsiste justement qu’un fantôme. La pièce « Store poème » (1962) conçue en collaboration avec Klein, Claude Pascale et Restany est emblématique de cette phase. Non seulement elle mêle textes et traces mais s’inscrit dans un mouvement perpétuel : à la fois la même et autre chose, le défilement des empreintes (le «  store » tourne sur lui même) transformant l’œuvre en trace elle même dans un jeu à la fois de miroir et de mise en abime.

Les accumulations naissent en parallèle. Le procédé est universellement connu et Arman l’a surexploité – je pense, non sans arrières pensées qui s’inscrivent dans sa démarche. Les premières œuvres ont pris avec le temps une saveur singulière comme « Fiat pas lux II » (1960), empilement de lampes de puissance d’amplificateurs qui n’existent pratiquement plus aujourd’hui, remplacées par des transistors ; ou «  Tuez-les tous, Dieu reconnaitra les siens » (1961) empilement de tubes Fly-Tox. L’humour décalé des titres parfois un peu trivialement provocateurs, donne une saveur ironique et parfois glaçante aux créations : « Home, Sweet Home » (1960) par exemple est un empilement inquiétant de masques à gaz ou « La vie à pleines dents » (1960) de dentiers.

A chaque fois Arman utilise et empile des objets industriels alors courants. Ces objets ont tous été produits en masse ce qui par essence est à l’antipode de l’œuvre d’art unique. Arman métaphorise ce multiple de masse et le transfigure en un singulier : l’œuvre d’art, jouant à nouveau sur une ambivalence, unique versus multiple. Et la simplicité apparente du procédé permet à l’artiste de dévoiler et démythifier l’acte de production et d’élaboration utilisés – et c’est un des axes de travail des nouveaux réalistes que d’abolir- en apparence – le mystère de la genèse de l’œuvre d’art ; ambivalence encore, par conséquent, secret et mystérieux versus public et visible

L’empilement de déchets participe d’un autre principe d’ambivalence : permanent versus éphémère les œuvres étant constituées de déchets dont la décomposition se poursuit.

Le procédé atteint une forme paroxystique quand Arman utilise des pièces automobiles en collaboration avec les usines Renault : « Accumulation Renault n°180 » (1972) ou « Accumulation Renault n°152 » (1968), constituée d’un empilement coloré en dégradé du jaune au rouge de capots de voiture. L’agencement qui jusque là a souvent paru plus ou moins aléatoire ou en tout cas souple et ondulant est ici structuré, ordonné et presque géométrique. Les pièces produites en quantité considérables s’organisent en œuvre unique, transformant la « geste » industriel en art. Cette démarche qui encadre les évènements de 1968 peut difficilement en être séparé et conserve une part de sous-entendu politique mettant en cause la « société de consommation » autant que leur forme très organisée pourrait entrer en résonance avec la « chienlit » du moment.

Les œuvres plus tardives comme «  The day after » (1983-1984) jouent d’une dualité destruction versus permanence, puisqu’il s’agit, en l’occurrence, d’un salon calciné de style Louis XV – destruction d’un style emblématique à la fois dans son historicité et dans sa permanence puisqu’en usage pour et par une certaine classe moyenne des années 70 et 80 pour laquelle le « Louis XV » avait valeur référentielle – retranscrit en bronze – matériau noble, durable. La « critique » de cette « middle class » n’est pas absente de la démarche mais c’est surtout, à nouveau, l’ambivalence de l’œuvre qui émerge et demeure.

Enfin l’une des toutes dernières pièces « Vanités (Atlantis) » (1991) reprend un empilement de chaussure déjà utilisé par l’artiste en 1962 dans une de ces créations les plus séduisantes « Madison Avenue », mais transcrit en bronze constellé de concrétions, comme s’il s’agissait de l’œuvre de 62 restée trente ans dans un fond marin. Souvenir versus présence et encore permanence versus éphémère.

Le titre de cette pièce est peut être l’un d’un ressort clé du travail d’Arman. Car ses accumulations rappellent certains tableaux des maitres flamands qui, dans leurs natures mortes, accumulaient les objets pour mieux souligner la vanité à posséder les biens de ce monde et exhorter à une nécessaire élévation de l’esprit. Certains travaux m’apparaissent comme des souvenirs fantomatiques de ces compositions parfois en explicitant même une référence historique, « Portrait-robot de Mozart » (1985) par exemple, ou en exploitant des procédés très proches des anciens comme « Parade » (1962), présentation de récipients de cuisines en aluminium coupés en deux, sur une étagère bicolore, rappel des nombreuses tableaux du XVIIe siècle où s’accumulent les pièces d’orfèvreries. La version d’Arman en est la transcription moderne dérisoire, industrielle et pourtant, singulière.

Arman parle résolument de vanité : vanité d’un monde qui produit tant le semblable qu’il finit par haïr la différence ou au moins s’en méfie et perd la beauté qui s’exprime dans l’unique, l’art, l’être vivant. C’est l’actualité de cette œuvre que met en avant l’exposition au Pompidou, non sans renvoyer les derniers avatars contemporains du sujet – récemment présentées dans une exposition sur le thème des vanités – au rang de bel objet pour nouveau riche.

Alors on comprend qu’Arman en exploitant jusqu’à l’usure le procédé de l’accumulation a voulu en quelque sorte un retour des objets industriellement produits en masse à leur fonction de masse dans une œuvre faite en masse dans un cycle permanent qui au fond est celui même de la vie, génitrice du plus beau des singuliers et de la plus grande multitude. Qu’on aime ou non Arman, cette exposition est une vraie réussite.

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