Livre : Powerpoint rend-il stupide ?

Le journaliste Franck Frommer a publié aux éditions La découverte une enquête consacrée au logiciel de bureautique bien connu : Powerpoint – La pensée Powerpoint, enquête sur ce logiciel qui rend stupide.

Toute la thèse de l’ouvrage est résumée dans le titre qui d’emblée pose question : Powerpoint est d’abord un logiciel remarquable, c’est à dire un outil et je ne pense pas que quiconque ce serait intéressé à un texte titré : Le marteau, cet outil qui peut faire mal, par exemple.

Pour autant, l’enquête est très sérieuse et s’appuie sur quelques exemples particulièrement éclairant dont je retiendrai: les keynotes de Jobs ; le plaidoyer écologique de Al Gore ; l’intervention de Colin Powell aux Nations Unies ; la présentation du plan de sauvegarde de l’emploi chez France Telecom .

Les trois premiers exemples sont d’abord remarquables par la maitrise technique de l’outil qu’ils révèlent : le cas de Steve Jobs est évidemment emblématique, le gourou d’Apple étant bien connu depuis des années pour ces présentation ultra hightech, léchées et techniquement parfaites où la mise en scène de lui même et de ses produits créée à chaque fois l’évènement. Jobs utilise Keynote – le logiciel équivalent à Powerpoint coté Apple – dans toutes ces possibilités pour vendre et ça marche. Al Gore ou Colin Powell avaient autre chose « à vendre » que des produits informatiques, mais les ressorts employés sont absolument les mêmes : une forme parfaitement maitrisée d’images de sons et de slogans. La différence entre les deux tiendrait à la « projection morale » que l’auditeur se fait de l’objet de la présentation : plutôt positif dans le cas d’Al Gore et plutôt négatif dans le cas de Powell.

Mais l’exemple de France Telecom est, de mon point de vue le plus intéressant. D’abord parce que techniquement, on revient à une présentation accessible à l’utilisateur ordinaire du progiciel – les autres étant clairement les œuvres d’utilisateurs très expérimentés en matière de maitrise de la communication et de l’outil. Ensuite parce que le sujet est classique dans les entreprises – comment faire avaler la pilule d’un plan social et gérer les drames humains induits par les exigences de la rentabilité immédiate. L’analyse fine des documents présentés – qu’on aurait aimée plus approfondie encore – révèle les ressorts d’une pensée et d’une méthode uniques mises en œuvre aujourd’hui dans le monde des grandes entreprises : l’objectivation du propos (recours aux verbes à l’infinitif, absence de phrase, bullet points permettant d’éluder les liens quelques qu’ils soient entre les sujets présentés …), la schématisation (flèches, tableaux et graphiques tronqués), l’absence d’argumentaire. La page où est présenté le mécanisme de deuil après une annonce difficile, illustrée d’une courbe en forme de nœud coulant – au moment des vagues de suicides dans l’entreprise – et dont le contenu est d’une banalité, pour ne pas dire d’une bêtise abyssale, est emblématique de toute la présentation et au delà de bien des documents d’entreprise, absolument creux.

On entrevoit alors ce qu’aurait du être le vrai sujet de l’enquête : non pas une attaque d’un outil informatique, mais bien d’une forme de pensée aidée par l’outil, certes, qui simplifie et caricature et se révèle incapable d’aborder et d’expliquer la complexité. Une forme de pensée et une méthode qui visent à uniformiser les approches sans s’embarrasser ni de finesses ni de rapports qu’ils soient de causes à effets, analogiques ou symboliques … On aurait tort de croire que les consultants ou experts en Powerpoint n’en sont pas conscients : ils savent que cette forme et la « pensée » qu’elle supporte permettent de vendre du néant et de cacher l’incompréhension et le manque de maitrise des sujets traités, du rédacteur comme du lecteur – spectateur.

Alors oui, Powerpoint est inadapté à une pensée construite et argumentée et, au fond, c’est heureux, puisque manque le temps de penser à l’heure de la rentabilité immédiate triomphante.

A chacun de résister, lire Stéphane Hessel et s’indigner.

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