On se souvient que voilà un an, les éditeurs de presse se félicitaient de la sortie de l’iPad, perçu comme leur sauveur potentiel. Ils se trouvent aujourd’hui bien marris de ne pas en avoir autant profité qu’ils l’imaginaient – mais les applications dédiées sont objectivement la plupart du temps médiocres et s’améliorent seulement maintenant – et se scandalisent qu’Apple sonne le rappel des conditions de ventes aux quelles tous les autres se sont pliés sans s’en plaindre forcément. Certes, 30% de dime sur les ventes, c’est beaucoup si l’on vend peu et peu si l’on sait rebondir en profitant de la plateforme – comme le Financial Times par exemple.
Comme l’industrie du disque qui après avoir engrangé des dividendes record jusqu’au début des années 2000, parfois en vendant n’importe quoi, les éditeurs de presse sont aujourd’hui devant une profonde transformation de la diffusion de l’information et semblent incapable de réagir reproduisant exactement les schémas passés – déjà à l’époque du magnétoscope : replis sur soi, critique des nouveaux supports, incapacité à innover, médiocrité des contenus, répression en décalage et d’autant plus impuissante qu’elle est techniquement dépassée au moment même où elle devient applicable… bref tout l’arsenal classique de ceux qui ont peur et se protègent. Pourtant, la meilleure défense en l’occurrence serait l’attaque et l’anticipation, l’innovation et l’intelligence. Le repli n’aboutira qu’à l’étiolement et finalement la mort.
Il est des moments d’ailleurs où je me surprends à ne même plus pouvoir éprouver de compassion de ces disparitions annoncées de la presse papier. Que dire par exemple de cette dépêche, notamment relayée par Le Figaro du 4 février qui fait état d’un taux d’équipement en téléphonie mobile en France de 99,7%. Mais qu’est-ce à dire ? Que 997 français sur 1000 ont un téléphone mobile ? Evidemment non et ce chiffre ne veut rien dire ; il n’est qu’un ratio du nombre de lignes téléphonique mobiles actives en France – incluant les forfaits prépayés et bloqués, bref un nombre de cartes Sim actives – ramené au nombre d’habitants de ce pays, du bébé au biberon, au vieillard agonisant. Le Figaro souligne d’ailleurs qu’en Ile de France, ce ratio atteint 147% ! Chez les cartes Sim, le taux de pénétration des usagés n’est donc que de 68% ! Plutôt que de citer béatement des chiffres officiels dont le journaliste lui même a entrevu l’absurdité, une brève enquête critique aurait été la bienvenue. Je suis sans doute injuste …
De même, quand Eric Besson, selon Le Monde du 3 février, fixe des objectifs chiffrés de déploiement de la fibre optique : j’ignorais que l’Etat puisse fixer efficacement des objectifs à des entreprises privées quand bien même auraient-elles plus ou moins des obligations de service public, détail qui semble avoir un peu échappé aux commentateurs béats du journal comme de l’AFP, cette dernière n’ayant pas vocation a commenter, certes, ce qui est moins vrai du journal.
De la plus insignifiante à la plus grave, l’information ne vaut vraiment que si elle est multiple, sérieuse, documentée, interprétée et mise en perspective – et je crois que je me répète. Ou alors, chacun devient son journaliste et, que les procédés employés soient ou non « étiques », il y aurait plus à apprendre des témoignages directs de ses amis révoltés sur Facebook, des fuites de Wikileaks et des blogs en tout genre, que des articles muris. Les révoltes en cours deviendraient des révolutions plus via le net de Zuckerberg que par l’investigation, écrite ou télévisuelle…
Pliez les mouchoirs et cessez de geindre : il est grand temps de se secouer les plumes et de se mettre au clavier ou à l’écran !
Il est grand temps aussi de rappeler au nom de quoi on affiche ses convictions, on affirme des opinions ; au nom de quoi on parle non de révolte mais de révolution quand moins d’Egyptiens est dans la rue que de français cet automne. Et le gouvernement français n’a pas démissionné. Si c’est de démocratie – parlementaire à l’occidentale – qu’il s’agit, alors concentrons nos forces contre les coups de boutoir assénés à la séparation des pouvoirs, ici même, dans cette définitivement ridicule et insupportable litanie des attaques contre la justice et souvenons nous qu’effectivement dix mille, cent mille, un millions de personnes défilant dans les rues ne constituent pas une majorité.
Tout cela interroge la légitimé des pouvoirs constitués, légitimité dont Sarkozy pourrait bien être ici le pire fossoyeur : serait-il anarchiste, ce qui le rendrait enfin sympathique à mes yeux ? C’est précisément quand les ressorts se brisent dont les pouvoirs tirent leur nécessaire légitimité et que d’autres se mettent en place que l’on parle de révolution. C’est sans doute le cas en Tunisie, dont le régime n’incarnait plus rien, certainement pas – encore – en Egypte. Et si les ressorts qui maintiennent Moubarak au pouvoir venaient à être remplacés par ceux d’une théocratie à l’Iranienne, espérons que les démocraties occidentales et tous les journalistes qui se disent en porter les valeurs se souviendront de ce pourquoi ils avaient voulus que l’Egypte fût en révolution. Ce n’est pas aussi simple direz-vous. Soit, en effet. Lisez les unes alors ! A force de racolage stupide tout est retranscrit sur un ton aussi simple que cela. Il faut vendre, n’est-ce pas, et voilà bien le moyen choisi !
Ce qui me ramène aux désarrois de certains éditeurs de presse : faites bien votre métier d’information et d’investigation et personnellement comme beaucoup d’autres, j’en paierai le prix juste avec ou sans Apple. La négative est évidemment vraie et c’est, comme on le voit, le cœur du problème. Il est des jours où je n’achète pas de journal précisément pace que les unes sont tellement « aussi simples que cela », que je ne vois pas comment le contenu pourrait se défendre… et il faut effectivement bien inventer un autre modèle économique pour la presse d’information.