Rembrandt et Claude au Louvre : leçon de dessins et peintures

Rembrandt et Le Lorrain cote à cote, plus que face à face, au travers de leurs dessins et tableaux : c’est ce que propose le Louvre jusqu’à Juillet.

Les propos sont dissemblables en apparence : la figure du Christ chez le peintre d’Amsterdam ; le dessinateur face à la nature pour le peintre français dont toute la carrière s’est déroulée à Rome. Et une étonnante similitude de démarche, l’un comme l’autre dessinant et dessinant encore les motifs et sujets propres à alimenter leurs travaux.

On trouvera coté Rembrandt une suite de portraits « sur le vif » sans doute d’un seul modèle qu’il côtoyait, possiblement juif, le peintre étant bien introduit dans la communauté. Claude, dessine des arbres, des bateaux, des ports et des fleuves ; la figure humaine ne l’intéresse guère et son « particulier » est occupé par la lumière révélant la structure des paysages romains. On voit Rembrandt chercher l’essence de la divinité du Christ, dieu fait homme, et Claude l’immanence d’une lumière qui aurait à faire avec un  paradis perdu. Selon que le souffle du vent sur les feuilles des acacias ou le mystère du divin aura vos préférences, l’une ou l’autre des expositions saura vous séduire.

Cependant leur ambition n’est pas la même. Coté Rembrandt on a cherché à montrer en quoi sa démarche s’est inscrite dans une rupture à la figuration habituelle, catholique – Rembrandt est protestant et vit dans un milieu où les trois religions du Livre se côtoient dans une tolérance relative. Son œuvre est ainsi confrontée à des grands prédécesseurs supposées proches – c’est à dire dont l’artiste possédait des estampes ou connaissait l’oeuvre, Van der Weyden, Rubens, Dürer, Mantegna, notamment. Leurs images, « iconiques » du Christ, humain et héroïque à la fois, mais qui ne devrait rien à l’étude d’après modèle, contraste avec l’image humaine et pensive proche et pourtant – par l’effet du style incomparable de l’artiste – lointaine, déjà, du maitre hollandais. La confrontation est intéressante mais suspecte si elle n’est pas étayée de preuves assurées. Rembrandt connaissait ces oeuvres, en possédait sans doute des reproductions mais au delà ? Les a-t-il étudiées, prises pour matériaux comme nombre de peintres copiant alors des antiques ou leurs illustres prédécesseurs pour mieux s’approprier leur savoir et le détourner ensuite ? Rembrandt a-t-il utilisé sa collection comme matériel ? L’exposition ne répond pas à cette question, hypertrophiant, voir inventant la démarche d’un artiste cherchant à figurer le Christ « d’après nature », alors que rien ne prouve, faute de texte et de dessin qu’un Van der Weyden ou un Mantegna, par exemple, n’ont pas adopté une démarche similaire, en en tirant des conséquences étiques, philosophiques et religieuses différentes, nonobstant l’époque où les œuvres ont été peintes et les différences considérables de style. Pour être plus clair, le propos est suspect à mes yeux d’un double anachronisme : celui qui laisserait accroire que la représentation – ici du Christ – est indifférente à l’époque où elle est née et que, en conséquence, il y aurait une pertinence à confronter Rembrandt et Dürer de ce strict point de vue ; celui enfin qui menace d’introduire l’idée de « réalisme » dans une peinture où un tel concept n’a aucune validité historique comme l’a rappelé mainte et mainte fois Daniel Arasse.

Si les dessins sont admirables, le propos ne m’a donc pas convaincu. Chez Claude, l’affaire est inverse : le propos est clair et très circonvenu au point d’apparaître sec, voir, lâchons le mot, ennuyeux. Mais le paysage pastoral (1644), par exemple, baignant dans une lumière magique et raffinée, ouvert sur un horizon arcadien, rappelle justement que Claude est un des plus grands peintres de paysages de l’histoire : la nature est à la fois reconstruite – il n’y a aucun réalisme topographique dans le tableau – et sa splendeur merveilleusement rendue. On se dit que le repos tendu que ce paysage inspire est « vrai », comme la figure de Christ de Rembrandt, inspire un sentiment religieux, « vrai » aussi à sa manière.

 

Rembrandt - Tête du Christ Vers 1648-165 - Philadelphie, Philadelphia Museum of Art, John G. Johnson Collection, cat. 480

 

Et c’est bien le mystère de la peinture qui est convoqué là comme ici ; un sourire esquissé, un regard à la fois droit, triste insondable ; une matière achée qui voile et suggère, ombre et colore plus qu’elle ne dessine ; le jeune homme réel disparait derrière l’image qu’en fait le peintre, révélateur d’humanité et de ses mystères, approche subtile et profonde du mystère chrétien. Une lumière que se perd, qui joue des feuillages, illumine un premier plan, comme au théâtre le projecteur révèle l’acteur ; le paysage se noie au loin dans un soleil incandescent ou des brumes bleutées ; l’esprit s’embarque vers l’horizon de couleurs et la chair frissonne aux vents qui agitent les arbres…

 

Claude Gellée (1604 - 1682) - Paysage Pastoral (1644) - Musée de Grenoble

 

Deux très grandes leçons de dessin et de peinture.

 

Laisser un commentaire