Évoquer Vaux quand le métro parisien est envahi d’affiches qui vantent ses fastes en réclames pour tourisme de masse, peut sembler céder à ce merchandising culturel. Mais Vaux n’est pas Disneyland.
Vaux, on le sait, est la premier jardin où LeNotre eut en grande partie carte blanche et put exprimer enfin son talent. Certes le jardin que nous voyons n’est pas celui que vit Louis XIV, La Fontaine, Molière et tant d’autres: le jardin était ruiné au milieu du XIXe siècle et a été largement reconstitué en suivant au plus près les plans et surtout les gravures de l’époque. Évidemment des libertés ont été prises; la plus gênante, sans doute, étant la largeur excessive des parterres de gazon, plus étroits à l’origine, ce qui, du château, devait accentuer l’effet de perspective.
Mais l’esprit est bien là et l’essentiel demeure : la subtilité des jeux de terrasses, dissimulant et révélant des bassins au grès de la promenade en effets de surprise parfois spectaculaires : le canal et les cascades; les effets d’optique de reflets du château ou des grottes suivant où l’on se trouve; enfin les jeux savant de perspectives ralenties puis accélérées… un jardin de la raison, un ilot dans une forêt qui partout l’entoure.
Alors, quand le soir vient et que le serein s’installe; que les promeneurs pourtant invités désertent les parterres pour se placer sous la protection du château; tandis que les chandelles par milliers s’allument et que flotte la douceur d’un soir de printemps; quand les ombres s’étirent et vacillent… la savante géométrie devient diffuse et onirique, propice aux fables et aux contes; le jardin de la raison accueille des nymphes frémissantes, des créatures vaporeuses; l’esprit se calme, se trouble et se perd. Les frontières s’effacent entre forêt, ciel et jardin. Les étoiles répondent aux chandelles vacillantes… et les obscures frondaisons deviennent coulisses pour des fêtes mystérieuses. Alors nait une harmonie dont l’Homme, géomètre, poète et illusionniste est le centre.
Revoir ce jardin dans le calme, presque seul, ravive l’expérience voulue par son créateur et reste un intense moment d’émotion esthétique. Le jardin de géométrie que l’on dit français conserve sa force de suggestion.
Souhaitons longue vie aux jardins de l’intelligence …
…Intelligence, voilà qui manque aux placards du métro et à bien des publications concernant Vaux : Fouquet fut la victime innocente d’un autocrate odieux qui piqua ses artistes pour créer une copie boursouflée à Versailles! Je caricature un peu mais le fond est là, vendu déjà, jadis, par Anatole France ou Paul Morand. Le slogan est tout trouvé : venez donc à Vaux, copié mais insurpassé !
Ce genre de propos est toujours un double défi à l’intelligence : confronter Vaux à Versailles a autant de sens que confronter le plafond de la Sixtine et le Jugement Dernier; écrire l’histoire en noir et blanc, bien et mal, n’intéresse plus que les gens pressés.
Il faut aller à Vaux non pas pour satisfaire un fantasme républicain de l’histoire, très troisième république, mais pour la beauté du lieu, de ce lieu ci pour en gouter la singularité et le parfum. Ailleurs, à Versailles, d’autres parfums sont perceptibles, différents mais non moins pénétrants.
Bonnes rêveries…

