Difficile d’échapper à Picasso en cet automne; Paris a choisi de célébrer l’ogre par un rapprochement d’avec les maîtres qui l’ont inspiré. La confrontation s’étale (et c’est bien le mot) au Grand Palais, au Louvre (Picasso face aux «femmes d’Alger » de Delacroix ) et à Orsay (le déjeuner sur l’herbe.. évidemment).
On a déjà beaucoup parlé de cette formidable démonstration de force, sur-vendue par des superlatifs marketing quelque peu déplacés en ces temps de crise : l’exposition du grand Palais serait l’une des plus chère de l’histoire et des plus difficile à monter … des plus vide aussi dans son propos.
Le titre – catastrophique – « Picasso et les maîtres » résume à lui seul le « problème » de cette manifestation : le choix de l’article défini, péremptoire, convoque le passé référentiel et mythique, confronté au présent (Picasso est pourtant bien mort !) dans un jeu dont on ne sait si l’on voulait qu’il fût continuité, miroir ou opposition.
Qu’a-t-on voulu montrer ? Que Picasso a puisé dans les œuvres de ses devanciers … bonne nouvelle; mais sans aller chercher bien loin c’était déjà le propos plus humble et plus convainquant de l’exposition de Madrid il y quelques mois. Picasso a eu ses maîtres … nous voilà rassurés … comme Bacon par exemple et comme aujourd’hui Koons.
Picasso a utilisé toutes sortes de matériels pour le détourner … on le sait et on peut le vérifier maintenant. Le suggérer avec intelligence, illustrer la démarche agissante du créateur torturant son matériel fait matériau, aurait été passionnant… ce que l’on entrevoit d’ailleurs au Louvre et à Orsay. Mais confronter …
Si le propos, on l’aura compris, est à mes yeux bien ténu, on reverra évidemment avec plaisir et bonheur certaines oeuvres majeures de Picasso mais aussi de Poussin , Zurbaran ou de Chardin, Velasquez n’ayant pas pu faire le voyage (les Menines). On pourra s’amuser bêtement – je veux dire dans un esprit, au fond, accordé au propos – à confronter Picasso aux Maitres – puisque c’est ainsi que l’affaire est formulée. Le cas Chardin est étonnant : David contre Goliath où comment un peintre si délicat est-il confronté au souffle du « plus grand peintre du XXe siècle » (ce sera tout ?) ?
Du reste, le seul fait que le titre puisse effectivement suggérer de traiter l’exposition comme un affrontement où se distribuent bons et mauvais points, satisfaction ou réticence, avec Picasso pour référent systématique (maître étalon de l’art) suffit de mon point de vue à disqualifier l’entreprise : cette confrontation n’a pas lieu d’être sauf à vouloir imposer un goût, une vision de l’histoire, déterminée, que je ne partage pas et qui fait étrangement échos à l’exposition consacrée au Futurisme au Pompidou.
Car le titre et pas conséquent le propos de l’exposition du Grand Palais pose d’autant plus problème dans sa bipolarité péremptoire qui pourrait être mal interprétée qu’elle se tient en même temps que celle du Pompidou où, par un effet miroir qui pourrait passer pour suspect on peut relire le manifeste – bien connu – du mouvement futuriste – ce genre de texte qui prône la « tabula rasa » et que l’on écrit à quinze ans et dont on rit à trente, à moins d’y croire toute sa vie ce qui fut, au fond, un des drames des élites du XXe siècle, fascistes, nazies ou staliniennes et de son auteur. Continuité et rupture ou l’inverse dans un rapprochement manichéen trivial et immature : voilà ce qui reste finalement du propos des deux expositions dont on pourrait croire qu’elles se complètent mais qui s’annihilent plutôt.
« Picasso et les maîtres » ou l’exposition bling-bling par excellence; vacuité de la pensée oscillant entre la continuité réactionnaire ou la réaction par la révolution qui débouchent sur le « tout est dans tout » crétin et absurde… On a douze ans à Paris dans un certain milieu culturel, du moins on l’espère, car c’est la promesse possible de belles et enthousiastes expositions futures…
Reste les œuvres et n’est-ce pas l’essentiel, qui justifient le succès semble-t-il immense de « Picasso et les maîtres ».