L’exposition aux Gobelins – fermées au public depuis des décennies – des tapisseries de l’Histoire d’Alexandre confirme que décidément Le Brun est bien un immense créateur de machines décoratives et picturales.
La transcription héroïque des « horreurs » de la guerre, du luxe de la victoire, de l’odeur mêlée du sang et de l’or saisissent par leur contraste violemment baroque. Les passions se déchaînent et les chevaux terrifiés perdent leur cavalier transpercé ou agonisent sous le poids des coups tandis qu’ailleurs les rois caparaçonnés d’or luttent, paradent ou succombent. Les grandes machines peintes préparatoires sont visibles au Louvre depuis plusieurs années déjà, mais la visite aux Gobelins s’impose pourtant.
On ne sait trop si cette suite épique a été conçue dès l’abord pour la tapisserie mais il semble qu’il s’agisse de l’hypothèse la plus vraisemblable, le peintre ayant semble-t-il délibérément cherché à se mesurer à une suite fameuse tissée sur le thème de l’histoire de Scipion à partir de cartons de Giulano Romano. Et ce passage à la tenture, aux matériaux précieux – fils d’or et d’argent, soie …- renforce à la fois la puissance évocatrice de l’œuvre plus lisible (pas de verni donc pas de reflet) et son essence baroque: bruits et fureurs mêlés dans le luxe et la technique les plus sophistiqués.
Que l’on songe que chaque combat illustre une vertu royale et surgit l’ambivalence d’un art puissamment contrasté et violent qui n’est mis qu’accessoirement au service du prince comme c’était alors peu ou prou le cas de toute œuvre d’importance partout en Europe.

D'après Charles Le Brun (1619-1690): Les reines de Perse aux pieds d'Alexandre, tissage de haute lisse Paris, Mobilier National Photo : Ph. Sébert
On pourrait penser que le luxe déployé dans l’exécution des tapisseries est opportunément « réhabilité » par le goût actuel pour le brillant et le toc. Peut-être, mais on peut y prendre leçon de savoir et de savoir faire.
Une exposition sans grande prétention – je veux dire qu’on ne cherche pas à attirer des foules avides ni à faire un merchandising sauvage – que je recommande non seulement à ceux que l’art millénaire de la tapisserie intéresse, mais aussi aux amateurs du « grand goût » et fort bien mise en œuvre, documentée et illustrée de surcroît (beau catalogue à prix raisonnable).
